Je fumais par la fenêtre sous la chaude caresse du vent alors que mon taxi m'amenait jusqu'à Bikini Bottom. Cela faisait un mois déjà. Un mois depuis ma promesse de revenir un jour venir prêter main forte pour vingt-quatre heures à Bob. La journée allait être rude, mais d'une manière que je n'avais jamais appréhendée: aujourd'hui, j'allais, pour la première fois de ma vie, réellement cuisiner. J'avais toujours cru que la cuisine de fast-food était plus simple à faire que de mettre un produit préparé en boîte au micro-ondes, mais les plats confectionnés par le jeune cuistot à tête carrée relevaient d'un tout autre ordre que ceux du fast-food moyen. Lorsque je lui avais annoncé mon arrivée par téléphone, quelques heures avant de prendre l'avion vers la Californie, il m'avait conseillé d'être bien en forme, car il prévoyait pour moi depuis quelques semaines déjà un programme colossal. Le petit snack du bonhomme avait vite gagné en notoriété de par l'affaire scandaleuse de son patron, Patrick Krabs, dont j'avais stoppé les cruelles extorsions criminelles qu'il faisait vis-à-vis du village. Non seulement je me doutais qu'il y aurait plus de peuple dans son restaurant que ce jour où ils se sont rencontrés, mais de plus, il avait rajouté au téléphone qu'une bonne partie des habitants seraient au courant de ma visite, ce qui lui ferait par ailleurs une journée de bénéfice colossale, mais ce qui allait surtout me donner une tâche monstrueuse à accomplir, à savoir satisfaire tous ces clients! Je me retenais de rire, assis sur la banquette arrière de la voiture, en pensant à l'enfer que cette journée allait être, et ne conservait qu'un petit sourire mesquin d'une signification complètement inconnue du chauffeur. Comment pouvait-il savoir, lui, que le fils d'une Arme légendaire s'apprêtait à livrer un combat terrible sous la chaleur cuisante du soleil et des friteuses face à une armée affamée de clients enthousiastes?
Je n'en croyais pas mes yeux en entrant dans le village. Bob avait dû toucher deux mots au maire de ma remarque sur le caractère foireux de l'ensemble des rues du hameau littoral. A présent, des flèches et des panneaux indiquaient toutes les directions, les plaquettes où étaient notées le nom des rues avaient été rénovées, si bien que maintenant les passants croulaient sous la quantité d'informations. J'arrivais donc assez vite au "Crabe Croustillant" qui n'avait pas été en reste non plus au niveau travaux, car sa taille avait doublé, et son personnel triplé. Ce fut l'une des deux nouvelles recrues, une charmante jeune dame du nom de Pearl qui m'accueillit à mon entrée dans le fast-food. Plusieurs clients se levèrent d'ailleurs à ma vue pour venir me serrer la main alors que je ne les connaissais même pas. Gêné, je répondis en me forçant à sourire alors que la jeune employée criait vers l'arrière-cuisine:
"Bob, devine qui est là?
-...Ben voyons, Durandal!
-Salut Bob, ton restaurant a l'air de marcher tête d'éponge...
-C'est grâce à toi! Allez, viens enfiler ton tablier, tu vas en baver aujourd'hui...
Regardant la salle d'un air d'analyste, il rajouta:
-Il n'y a pas encore grand monde, il n'est que neuf heures et demi, le nombre de gens devrait quadrupler d'ici le début de l'après midi...
-C'est une blague j'espère..."
Il y avait déjà bien la moitié du snack de rempli! Comment comptait-il faire? Il n'allait quand même pas me refiler tout ce boulot?
"Tu vas voir, aujourd'hui tu vas apprendre deux recettes, notre fameux pâté de crabe, qui devrait te poser peu de problèmes, et... une recette que j'ai déniché dans un super bouquin et transformé à ma sauce: la Crabtatouille!
-Eh bien allons-y"
A peine avais-je enfilé mon tablier que je me brûlais un doigt un peu trop baladeur sur une casserole qui chauffait depuis une demi-heure, manquant de la renverser, provoquant déjà un cri de panique général chez les trois cuisiniers de fast-food. La deuxième fille, que je ne connaissais pas non plus, appelée Karen, m'empêcha notamment d'enflammer dans les premières minutes de ma "prise de fonctions" le bar-snack, et dû reprendre mes gestes maladroits à plusieurs reprises. Pendant que Bob me briefait en surveillant déjà mes gestes d'un oeil inquiet, je tentai de me concentrer sur ses paroles et sur les ustensiles que le souhaiter à tout prix ne plus jamais heurter de peur de finir en morceau de charbon. Me retenant difficilement de grogner devant toutes les instructions du jeune homme qui me donnaient mal à la tête, je démarrai par la première chose que j'avais retenue. Mais le fait d'avoir déjà oublié les deux ou trois étapes précédentes faillit encore une fois me coûter une partie de mon corps. Je me laissai donc au début guider par la jeune Pearl que je voyais s'empêcher d'afficher un air désespéré. Me concentrant, je repris un autre tablier (car le mien était déjà à moitié brûlé et taché comme pas possible), et me remettait à mon travail, épaulé par toute l'équipe. Quelques clients qui passaient de temps en temps la tête par-delà le comptoir pouffaient en voyant mes gestes gauches mettre en péril les premiers pâtés de crabe. Craignant de plus en plus de voir leurs œuvres détruites par mon manque certain de talent pour la cuisine, l'équipe me confia non pas la dernière étape, la plus aisée certes mais la plus risquée si c'était moi qui m'en occupait, mais la première... Je devais frire les crabes pendant que les autres préparait de quoi les farcir et les garnir...
Bob eut peur pour son chiffre d'affaire pendant un certain moment, voyant les clients affluer dans la salle ainsi que les projets ratés sortant de la friteuse. Mais à partir de quelques essais, ou de nombreux essais, ou bien encore un nombre colossal de tentatives désolantes résultant en un énorme tas de carcasses noires et fumantes m'arrivant aux hanches, je commençai à avoir le coup de main. Le sourire revint peu à peu alors que je me mettais petit à petit à maîtriser les différentes étapes, accroissant cependant à plusieurs reprises mon joli tas d'échecs, mais produisant des plats à chaque fois meilleur qu'auparavant. Si bien qu'à l'heure de pointe, mes premiers pâtés de crabes potables furent servis, Karen mentionnant haut et fort sans me prévenir qu'ils étaient bel et bien produits de mes mains. Les premiers services s'accompagnèrent de quelques rires et d'autres bruits assez décourageants, mais très vite, les pâtés de crabes furent appréciés, légèrement applaudis, et même redemandés! J'essuyai la sueur à mon front en sentant s'esquisser au coin de mes lèvres un petit sourire satisfait. Je jetai mon second tablier, qui n'avait pas survécu à une trempette dans la friteuse, et pris le troisième tablier que je me promis, cette fois, de le tacher le moins possible. Ce fut Pearl qui rompit ma promesse en renversant la moitié de la préparation de la Crabtatouille sur moi, alors que Bob avait commencé à me rediriger vers la confection de celle-ci. Affolé, il annonça alors que je devrai refaire la préparation de la Crabtatouille perdue avec lui, en plus de ce qu'il avait déjà l'intention de me faire faire. Prenant un quatrième tablier, émettant la furtive pensée que je finirai par coûter cher au restaurant, je remontai mes manches et commençai à assister Bob pendant que les deux filles continuaient les pâtés ainsi que d'autres plats, aidées (ou handicapées?) de temps en temps par ma venue sur leur table de travail. Mais de mon côté, alors que l'horloge affichait déjà dix-sept heures, j'étais entièrement pris, avec mon sympathique et talentueux compagnon, à mijoter cette fameuse recette que lui-même éprouvait quelque difficulté à exécuter.
Notre travail nous pris des heures, de la sueur, de la volonté, quelques tabliers aussi, et quelques autres sacrifices collatéraux tels que deux autres doigts, une casserole, des couverts certifiés comme incassables qui se réduisirent en miettes par mes manipulations, un morceau de la jupe de Karen qui nous valu une adorable vue sur sa culotte et un coup de soleil en forme de main féminine sur la joue, et finalement, une souris qui passait par là et contre laquelle je n'eus rien de mieux à faire que de balancer de l'huile de friture brûlante. Le pauvre animal fumait encore un certain temps après l'attentat, pauvre bête. Il fallut d'ailleurs consoler les deux minettes qui me considéraient presque comme un monstre. Impassible en apparence mais un peu vexé en réalité, je m'efforçai de finaliser calmement la concoction de la Crabtatouille...et, alors que tous, Bob, Pearl, Karen, les clients, la lune qui grimaçait nerveusement et la souris qui se retournait dans sa sépulture de fortune (je ne vous dirais pas où), redoutaient un nouvel Hiroshima lorsque je déversai délicatement la ratatouille dans les divers plats avant de les garnir, je m'appliquai, effectuant des gestes presque parfaits, ayant presque fini de mitonner les plats, je glissaiiiiiiii!!!!...
Et me rattrapai de justesse sous les hurlements terrorisés de tout le snack qui s'enfuit en courant par toutes les ouvertures alors que je rajustai ma prise sur ma casserole de ratatouille et ma cuillère de métal brûlante -j'avais enfilé des gants de protection, bande de lecteurs vicieux. Trente secondes plus tard, toujours tellement concentré que je n'avais pas vu que tous avaient déserté le restaurant (sauf le rongeur décédé qui n'était plus en état), je terminai le dernier plat de Crabtatouille.
"Fini, plus qu'à test-...tester...ehoh?"
Cinq minutes plus tard, ayant cherché fébrilement Bob et les clients enfuis de par la ville, je réussis à les ramener au fast-food afin de leur faire goûter ce que j'avais, au prix de moult pertes dont mes doigts agonisant, et aidé par les trois cuistots, enfin réussi à achever. Tout le monde retint son souffle de peur de voir exploser Bob lorsque la texture de la Crabtatouille entra, dans un instant de stress interstellaire, en contact soudain avec sa langue.
"...Hmpf, ch'é que ch'é pas mal mon gars, un peu chaud mais bon...Allez venez goûter, je crois que notre nouveau chef a un chef-d'œuvre à faire goûter!"
J'expirai profondément, soulagé, alors que les hourras des clients pressés de se sustenter retentissaient dans le restaurant...Cette nuit fut réussie, et à force de persévérance, Bob avait finalement réussit à m'inculquer les rudiments de la cuisine. Je jetai finalement l'éponge, qui tomba par malheur dans la friteuse. Les bénéfices de cette journée éprouvante ne seraient, du moins j'essayai de m'en convaincre, pas trop maigre au vu des dégâts que j'avais causé dans l'arrière cuisine... Mais le restaurant survivrait bien. En attendant, il fallait nettoyer, le plus vite possible pour aller profiter du clair de lune sur la plage avant de reprendre l'avion pour Shibusen.
