La veille, Iwi ne s'était pas rendu aux cours de la Shibusen. Ce n'était pas qu'il avait délibérément décidé de sécher, même si ça aurait pu. En fait, il les avait purement et simplement oubliés. Ça lui arrivait quelquefois. La mémoire du meister était très sélective et tout ce qu'il considérait comme négligeable avait la regrettable tendance à s'en effacer. De plus, entre autres regrettables tendances, ce que LUI considérait comme négligeable était généralement égal à ce que les AUTRES trouvaient très important. Donc, il avait complètement oublié qu'il devait aller où que ce fut et il avait passé sa journée affalé sur le canapé tel une loque hors d'usage, la tête renversée en travers de l'accoudoir, une jambe sur le dossier et l'autre traînant par terre, à dormir. Il fallait dire qu'il avait passé les nuits et jours précédents à fuir le plus possible ce coma nécessaire et certes temporaire mais ô combien ennuyeux, durant lequel on ne peut ni embêter les autres, ni faire de jeux de mots, ni écouter de la musique, ni... c'était effrayant d'y penser ! Du fait de cette hantise, son rythme de sommeil était comme lui : complètement irrégulier et imprévisible. D'autant moins prévisible qu'il s'embêtait rarement à essayer de faire coïncider ces temps de récupération inévitable avec les obligations de la vie quotidienne. À son éveil, la nuit était donc tombée, une belle et froide nuit étoilée, il s'était senti plein d'énergie et avait décidé de sortir.

Généralement, Iwi aimait assez se balader dehors la nuit à condition qu'il n'ait pas particulièrement envie de croiser du monde. Or dans ce cas-ci, un peu de vie sociale le tentait, justement. Confronté aux rues désertes, l'agaçante habitude humaine d'être diurne le contraria, ou plus exactement l'ennuya, car il ne ressentait jamais la colère. À quoi diable servait le sommeil ? Pourquoi avait-on inventé l'état de fatigue qui faisait de ce temps perdu une obligation physique ? Méditant sur l'idiotie de certaines lois de l'univers, il alla promener sa solitude vers les hauts quartiers de la ville. Mais cette fois-là, la chance lui souriait. Ses pas le guidèrent en effet machinalement sur la cour de la Shibusen. La vue de l'immense silhouette sombre de ce bâtiment qui se trouvait être son école ne remua en lui aucun souvenir de peut-être, tiens, j'étais censé y aller hier. Il ne pensait jamais au passé et en ce qui le concernait, même hier faisait partie d'un très lointain passé qui était passé et donc lassant. Ce qui l'intéressait, c'était le présent dont cet adolescent rouquin pour le moins susceptible faisait en l'occurrence partie.

- Est-ce que tu as fini de me contempler comme cela ? Je pourrais te donner une photo si tu veux !

Waouh ! Pas à prendre avec des pincettes, le gars ! Rock ! Mais c'était vrai, il y avait des gens qui ne supportaient pas qu'on les surprenne à pleurer. La vivacité de la réaction l'amusa. Iwi sourit largement dans la pénombre. Comme d'habitude, le malheur d'autrui ne le touchait pas. L'inconnu, lui s'était immédiatement retourné comme s'il avait voulu lui dissimuler son visage. Il peut s'en passer des choses sur un visage, comme pour un œil tendre verser une larme, par exemple. Voyons voir... Une photo, hein ?

- Sérieux ? Tu aurais aussi un poster pour moi ? Je collectionne les images de gens défigurés par le chagrin et la rage ! Tu serais une belle pièce, tu sais !

Iwi parlait comme s'il était au bord du fou rire, ce qui était d'ailleurs le cas. Tout en parlant, il battait des mains d'enthousiasme comme un vrai gamin.

Iwi sentit que sa réplique avait comme qui dirait pas mal chauffé les nerfs de son interlocuteur. Euphémisme. Cela aurait chauffé les nerfs de n'importe qui. C'était d'ailleurs dans ce seul objectif qu'il s'était exprimé. Mais le rouquin garda son calme. Il s'approcha de lui et colla presque son visage au sien, ce qui donna au meister l'occasion de s'assurer qu'il ne le connaissait pas et qu'il ne l'avait même jamais vu. L'information n'était pas dénuée d'intérêt. À la Shibusen, il s'arrangeait en effet pour apprendre à reconnaître la tête de chaque élève n'importe où. Ce type n'aurait pas pu passer deux jours là-bas sans qu'il le remarque, ou du moins il en était sûr. Alors que ferait un mec qui n'avait rien à voir avec l'école dans la cour de la dite école, de nuit ? Un vagabond, un allié inconnu de Shinigami-sama ? Et si c'était un nouvel étudiant ? Et si Iwi le faisait parler un brin ?

- Ha ! Ha ! Ha ! Tu commences à me plaire, toi !

L'individu rigolait en lui frottant les cheveux. Le meister lui répondit par un sourire carnassier, le regard brillant. Ce gars aussi commençait à bien lui plaire. Un observateur extérieur aurait peut-être pu trouver qu'ils se ressemblaient un peu, de loin, dans le genre m'as-tu-vu provocateur. Mais Iwi savait qu'il y avait déjà une différence essentielle entre eux : le gars pouvait éprouver des émotions, et lui non. Il n'en concevait aucun regret pour lui, au contraire ! La vie de sadique détraqué était très plaisante. Le souci, évidemment, c'est qu'il fallait veiller à ne pas perdre complètement la boule et puis, au milieu de gens normaux difficiles à comprendre, il y avait ce petit côté handicapant. Mais en contrepartie, on n'était pas dérangé et on n'avait jamais à s'encombrer de ces sentiments qui empêchent de réfléchir sereinement aux jeux de mots.

- Comment te nommes-tu ?

Iwi comprit que le gars essayait de le jauger. Il le comprenait d'autant plus facilement que c'était un petit jeu auquel il se livrait lui-même. La partie s'annonçait amusante. Il sourit un peu plus largement encore, en plissant les yeux d'un air amical. Tout à coup son sourire fut remplacé par une mimique un peu confuse. Il fit quelques pas au hasard autour de lui, pour rien, sans regarder le rouquin, en laissant son regard rebondir un peu partout, apparemment si distrait qu'il se heurta accidentellement au rebord. Il s'immobilisa et contempla ce dernier une seconde comme s'il ne savait pas ce que c'était.

- Iwi Kaligula, dit-il mécaniquement.

Il releva la tête, les yeux dans le vide.

- À qui ai-je l'honneur ?

Je sentais depuis peu de temps que ce gars essayait de me décortiquer, mais sans avoir d’indices. Je me doutais bien qu’il ne m’avait jamais vu ici pourtant, je participais aux nombreux cours de Shibusen depuis quelques temps déjà. Hormis quelques absences, je n’avais passé que bien pu de jour hors de Death City toutefois, mes nombreux cours n’avaient pas été à l’intérieur de la bâtisse elle-même car je n’étais pas «apte» à recevoir à aller en classe. Donc, depuis que Maître Shinigami m’avait récupéré, je n’avais passé que très peu de jour en compagnie de d’autres jeunes de mon âge. Alors, je compris qu’entre cet Iwi et moi, sur cet endroit si inusité pour une première rencontre, un jeu prendrait place sous ce ciel si étoilé. Un jeu dont le gagnant serait le premier à obtenir les informations qu’il désirait pour laisser l’autre au pris avec son désarroi.

Ce jeu commença avec ma première question, mon premier tour, à laquelle mon adversaire répondit en regagnant un air vide. Son nom était Iwi Kaligula… Kaligula… J’en avais vaguement entendu parler au paravent, mais je ne me souvenais plus où. Il joua son tour en me renvoyant la même question. Je lui répondis en mon épaule droite vers l’avant, en posant ma main gauche sur ma hanche et en me pointant de mon pouce droit. Ma réponse fut très concise. Je ne pouvais me permettre de tout lui révéler le meurtre de mon père ou quoique ce soit d’autre sur moi. Il devrait attendre que j’aie joué mon tour pour cela.

- Mon nom est Angelost! Angelost O’Conner! Et pourrais-je savoir à quoi tes jours sont occupés, mon très cher Iwi? lui demandais-je en mettant dans ma voie un léger ton supérieur, à peine perceptible par ceux qui me connaissaient bien… Bien qu’ils ne soient pas bien nombreux… Bien, j’étais impatient de voir son prochain mouvement car je visualisais vraiment cette discussion comme une partie d’échec où, à ce moment, nous n’avions que bougé des piètres pions par nos questions basiques.