La nuit est belle, les méandres s'emmêlent, chaque créature le sait, cet espace restera sacré…
Siolith se tenait devant son passé, chose qu'elle n'avait pas faite depuis son départ de cet endroit. Avant les événements qui l'avaient conduite à Shibusen, ce lieu avait été censé être son passé, son présent et son futur, mais l'Histoire en avait décidé autrement. Le plus étrange, c'est qu'aucun sentiment ne l'envahissait à cet instant, ni rage, ni haine, ni tristesse. N'importe qui aurait réagit d'une certaine façon en revoyant l'endroit qui nous avait vu naître et grandir, mais elle se contentait de regarder, comme si il ne s'agissait ni plus ni moins qu'un endroit comme un autre. Seuls les Kunan et ceux qui y étaient autorisés avaient le pouvoir de voir cet endroit, qui existait, sans apparaître aux yeux des simples mortels et inconnus. Un grand bâtiment de plain-pied, divisé en plusieurs parties reliées entre elles par de long couloirs fermés, on pouvait ainsi vivre et se déplacer de pièce en pièce sans jamais quitter cet intérieur. La manieuse ferma les yeux et, malgré les innombrables années qu'elle n'avait pas revu cette bâtisse, elle pouvait encore refaire le chemin par cœur. L'architecture en devenait compliquée au moment où on se rendait compte que les couloirs s'entrecroisaient, se découpaient rendant les déplacements quasi-impossible pour toute personne n'ayant jamais été initiée à ce type de construction. Ainsi, Siolith pouvait, en dix minutes, rejoindre la salle de prière, alors qu'une novice pouvait mettre une demi-heure à une heure alors qu'on lui avait écrit le chemin sur un bout de papier. Un véritable labyrinthe, voilà ce qu'était la demeure Kunan, autrefois Accompagnateurs et Dépositaires des âmes. Elle n'avait pas de temps à perdre, elle avait horreur de perdre son temps, même si elle jugeait elle-même ses pertes et ses gains de temps. Elle s'aventura dans l'allée fleurie et monta sur le palier qui avait toujours le même air fraîchement balayé. Les dieux de la mort avaient cette particularité: tout était si beau autour d'eux, mais tout était mort; les fleurs qui s'épanouissaient avaient des centaines d'années et cela faisait longtemps que leurs petites âmes avaient rejoint le Fluide universel. Les arbres aux troncs robustes et aux feuilles éclatantes ne souffriraient plus jamais du froid perçant de l'hiver ou de la chaleur écrasante de l'été. Les fruits qu'ils donnaient malgré leur mort évidente n'avaient aucun gout ni substance pour les humains et autres choses profanes: seuls les Kunan pouvaient apprécier leurs saveurs, car seule la mort connait le gout de ses actes. Siolith ouvrit la porte.
Rien de particulier ne se passa, pas de vent mystérieux qui se souleva, par d'odeur particulière; elle avait ouvert la porte. Elle entra en faisant fonctionner les deux choses qui lui servaient de jambes et parcourut les quelques mètres qui la séparaient du hall. Un hall immense aux aspects babyloniens. Jamais on n'aurait pu se douter, vu de l'extérieur, qu'il pouvait être aussi grand. Sans accorder plus d'importance à ceci, elle traversa cet espace tranquillement, comme si il ne servait à rien de courir. Et effectivement, courir dans un tel endroit signifiait la désorientation. Elle en avait clairement le souvenir: une des Kunan avait couru afin de ne pas arriver en retard à une séance d'initiation, Siolith s'en rappelait encore très bien car elle était passée devant sa chambre et les bruits de ses pas précipités lui avait fait hausser un sourcil. On ne l'avait retrouvée que quatre jours plus tard, au détour d'un couloir, morte de soif.
Ses pas la menèrent vers la porte coulissante qu'elle avait ouverte des millions de fois sûrement pour sortir et entrer dans la pièce qui se trouvait juste derrière. Le bois frotta le bois et la lumière se déversa dans la pièce aux murs nus. Ses yeux lui jouèrent des tours et elle se vit elle-même enfant, assise au milieu de la pièce. Une chambre de vingt mètres carrés, ayant pour seuls meubles un lit, une table sur laquelle trônaient un livre et une plume. Le regard perdu dans le vague, sa forme enfant ne faisait pas un geste, s'autorisant quelques fois à cligner des yeux lorsqu'ils piquaient. Siolith se souvenait parfaitement de ces séances de médiation, ayant pour but de renforcer l'esprit, avoir le meilleur contrôle de soi possible et acquérir la patience et la force spirituelle nécessaire pour supporter le poids des âmes. Elle entra dans son ancienne chambre et la vision s'éteignit comme si on avait soufflé la flamme d'une bougie. Pas de surprise, la manieuse n'était pas sujette au accès de blues dû aux événements du passé, et cette vision n'était qu'un événement quelconque gravé dans son immense mémoire. S'approchant du bureau, elle tendit la main vers le livre pour le saisir, mais au moment où sa main toucha la reliure, l'amas de vieux cuir et de papier se transforma en poussière, littéralement vaporisé par le cours du temps. Comment était-il possible que ceci eut lieu? Combien de temps avait-elle été réellement absente de cet endroit? Il fallait beaucoup de temps pour qu'un livre tombe en poussière de cette façon. Tant pis, de toutes façons, le contenu de ce livre était gravé tout entier dans sa tête et le support papier ne servait désormais plus à rien. Une stupide émotion humaine l'avait poussée à vouloir s'emparer du livre; elle aurait le laisser en place afin que rien ne bouge dans cette pièce. Elle retourna sur ses pas et fit glisser la porte pour refermer sa chambre;
Comme s'il ne s'était absolument rien passé, elle marcha dans les couloirs, en prenant un plus étroit que les autres, puis bifurquant à gauche sur un autre qui était très long, parsemés d'autres embranchements qui venaient se greffer perpendiculairement au principal. Elle prit la quatrième à droite et marcha d'un pas assuré, puisqu'elle avait fait ce chemin des milliers de fois. Au terme d'un voyage de trente minutes et d'innombrables tournants et couloirs, elle arriva devant une porte plus imposante que les autres. Posant la main sur le bois, elle senti le contact froid de la matière, chose déroutante pour un humain, puisque le vois était une matière assez chaude en soi, surtout dans un environnement où le froid n'avait pas accès; mais finalement, les humains non plus n'y avaient pas accès. Imprimant une poussée, elle ouvrit la porte, qui tourna sans un seul craquement ni grincement. La pièce était aussi silencieuse que le reste de la maison, pas une âme qui vive, si l'on pouvait s'autoriser ce jeu de mots. S'avançant jusqu'à l'autel qui trônait au bout de l'endroit, elle s'agenouilla devant le monument, posant ses genoux sur la marche de marbre prévue à cet effet. Les souvenirs de son enfance rejaillirent en un coup: elle, agenouillée sur ces marches, nue, à cinq ans. Forcée de faire ce même geste, les genoux en sang, le coin de la marche jouant avec la chaire tendre de ses jambes, durant plusieurs . Ses parents n'avaient pas fait de distinction entre elle et une Initiée et les heures qu'elle avait dû passer ici, lors de sa Conversion avaient été longues et pleines de souffrances, de sang et de larmes. Après des mois de ce traitement, elle avait enfin compris que la douleur appartenait à un autre monde, et que si l'âme faisait abstraction de la douleur, alors le corps pouvait souffrir et être mutilé, si l'utilisateur était vivant, il pourrait encore bouger et accomplir la volonté de l'âme. Le corps n'était qu'un réceptacle aux yeux des Kunan, un moyen de transmettre les savoirs et les souvenirs des âmes des membres de leur famille. Elle était devenue Siolith après une méditation finale de quatre jours d'affilée à cette même place à laquelle elle était. Elle resta quatre heures à faire le vide dans son esprit, ce qui n'était pas simple au su de tout ce qu'elle préparait pour ses futures Archives…

Quand finalement, elle se releva, ce fut pour sentir une présence dans la maison. Quelqu'un d'autre y était, et cette personne se dirigeait par ici. Siolith n'avait pas le moins du monde envie de jouer à cache-cache et au lieu de cela, grimpa sur la marche en marbre et avec un petit saut, s'assit sur l'autel de ses ancêtres, comme s'il s'agissait d'un trône. Personne ne pouvait se permettre cela, mis à part le leader de la famille. En l'absence totale de Kunan en ces lieux, ils lui revenaient de droit. Restait à savoir qui arrivait d'un pas si léger, mais si sûr….

Le silence est délicieux, le fleuve est calme et les animaux savent se faire discrets dans cette zone de la forêt. Themis se tenait devant le cours d’eau, les yeux fermés, la tête penchée vers l’arrière et elle écoutait. Elle savourait ce moment de silence total, cette période vide de bruit, de mouvement et même d’odeurs. C’était comme si le temps avait arrêté son cours et qu’elle seule pouvait savourer ce moment de douce tranquillité. Elle venait tout juste d’envoyer un politicien corrompu valser dans un coin sombre pour être oublié à jamais et avait décidé de passer dans la région avant de poursuivre sa croisade vers l’Ouest. Cet endroit que seul les choisis peuvent admirer… chose ironique puisqu’elle ne pourrait jamais véritablement voir les terres sacrées du clan Kunan. Elle connaissait par contre chaque recoin, chaque caillou, chaque brindille et chaque fossé de ce territoire. Tout était profondément gravé à jamais dans sa mémoire qui la guidait instinctivement vers le droit chemin pour se rendre à l’immense chef d’œuvre qu’est territoire Kunan. Il ne figure sur aucune carte et personne ne sait qu’il est là sauf ceux qui en connaissent l’existence. Cette agglomération de bâtiments inter-reliés par une infinité de couloirs menant tous à un endroit différent. Personne ne savait mieux s’y diriger qu’elle pour la simple et bonne raison qu’elle pouvait se rendre dans n’importe quelle pièce les yeux fermés… même si tous les membres du clans connaissent instinctivement les chemins… Elle passa à la salle d’entrainements et glissa son doigt sur le fil d’un sabre, se remémorant avec exactitude chaque moment qu’elle avait pu passer dans cette salle en une seconde. Elle ouvrit une porte et s’engouffra dans un couloir et après environ cinq minutes de marche, elle s’arrêta net. Son expression facile qui traduisait jusqu’à maintenant une fine nostalgie se fit remplacer par un doute agressif. Pourquoi ? Elle sentait clairement une âme se déplacer dans les couloirs, à la limite de sa perception. Impossible d’en connaitre la source. Tout ce qu’elle savait était qu’une personne zigzaguait habilement dans les couloirs. Impossible que ce soit un voyageur perdu puisque l’énergie émise par l’endroit repousse toute personne non-invitée… Il serait peu probable qu’un ennemi du clan se déplace aussi aisément dans le labyrinthe de chemins qu’était l’intérieur de la maison du clan… Il se pourrait aussi que ce soit un autre membre de la famille qui soit revenu dans un élan de nostalgie. Themis devait en avoir le cœur net. Une personne non-invitée commettrait un crime grave en déambulant dans cette demeure sacrée et l’Inquisitrice serait plus que ravie d’abattre une sentence sur cet intrus. Mais dans la possibilité que ce soit un membre de la famille, ce n’est jamais bien désagréable de revoir une tante, une cousine ou même, chose peu probable mais pas impossible, une sœur. Quoi qu’il en soit, il fallait absolument aller à la rencontre de cette âme.

Themis se dirigea d’un pas rapide mais assuré vers l’endroit où elle avait pu sentir cette âme pour la dernière fois, la zone des chambres des éléments importants du clan. Courir serait une erreur, comme le disaient si bien les plus âgés et les professeurs. Le meilleur mauvais exemple pour garder cette notion bien profondément dans la tête des membres du clan était l’aventure d’une de leur cousine qui se serait perdu et en serait décédés. Themis ne l’a jamais vraiment connu puisqu’elle ne l’a jamais croisée concrètement. Elle avait déjà sentie son âme traverser la salle d’entrainement à la course alors qu’elle méditait mais sans plus. Elle ouvrit une porte et traversa le hall comme si c’était un couloir, ne prêtant aucune attention aux échos de ses pas qui résonnaient entre les poutres et s’engouffra dans un nouveau couloir qui déboucha sur la section des chambres après quelques minutes de marche. L’une des portes avait été ouverte, elle le ressentait dans l’air, il y avait eut un mouvement dans cette section il y a peu puisqu’une étrange odeur de poussière et de moisissure flottait délicatement autour de la chambre de l’une de ses grande sœurs. L’intrus cherchait-il les secrets de la famille? Cherchait-il un document que, chose complètement impossible, l’Archiviste aurait oublié? Si c’était le cas, il perdait son temps. Personne, pas même la moins élevée, hiérarchiquement parlant, de la famille n’oublierait un détail important pour ne pas dire oublier un détail tout cours. Elle avait néanmoins rattrapée l’âme vagabonde d’une certaine manière puisqu’elle apparaissait dans son esprit, à la limite de sa perception. Elle était immobile dans une pièce bien précise à l’une des extrémités du domaine : La Salle de Prières. L’Inquisitrice se remit en route, sa balance au creux de la main et l’épée à son flanc. Elle marchait rapidement mais en imposant un équilibre parfait à son corps, au point où les plateaux de la balance demeuraient parfaitement immobiles. Elle ne comprenait pas. Elle ne comprenait pas comment, même en se rapprochant, lentement mais sûrement, de l’âme, elle n’arrivait pas à ressentir l’émotion que celle-ci dégageait. La personne pouvait-elle bloquer cette habilité que Themis possédait ? Au fur et à mesure qu’elle approchait de la salle de prières, des souvenirs traversaient sa tête comme des flèches. Elle, jeune, qui revenait de la salle de prières en robe de chambre blanche comme neige mais dont la couleur pure était profanée par des tâches écarlates qui se formaient au niveau de ses genoux alors que les larmes séchaient lentement sur ses joues. Oui… elle avait passé tant de temps à se cisailler les rotules sur cette dalle de marbre qu’elle en avait probablement des cicatrices maintenant. Elle se revoyait il y a pas plus de deux ans, revenir toujours en robe de chambre tachée de sang sur les jambes mais avec une expression sérieuse et concentrée au visage. Elle ne comprenait pas comment elle arrivait à revoir ces souvenirs en images alors qu’elle n’a jamais pu voir de quoi le monde était fait. Elle savait que la robe de chambre était blanche alors qu’elle ne l’avait jamais vue. Elle savait que le sang était rouge alors qu’elle ne l’avait jamais appris. Elle savait qu’elle ressemblait atrocement à ses sœurs ainées alors qu’elle ne s’était jamais regardée dans un miroir…

Elle réussit enfin à percevoir qui était le propriétaire de cette âme calme et sérieuse qui n’émet aucune réelle émotion. Elle savait pourquoi cette personne avait décidé de se rendre précisément dans la Salle de Prières et à présent, elle savait qu’elle l’avait aussi détectée. Dans les familles normales, elles se battent pour tout, n’importe quoi et rien. Elles se volent mutuellement les articles de l’autre qu’elles préfèrent et commencent à s’aimer inconditionnellement avec le temps. Dans le clan Kunan, ces personnes sont au-delà de cet amour inconditionnel et se connaissent entre elles mieux que quiconque, au point où elles savent ce qu’une autre pense et Themis était convaincue que cette personne allait faire exactement la même chose qu’elle exactement au même moment. Elle ouvrit la porte de la salle sacrée, un très léger sourire aux lèvres, ses yeux émeraude croisant le regard saphir de sa sœur ainée.

"Siolith."

"Themis."

La surprise était apparemment au rendez-vous, mais Siolith n'avait pas pour habitude de laisser de tels sentiments l'envahir. La logique l'avait avertie que cette présence semblait vaguement familière; la Gardienne de la famille avait toujours été un élément incontournable et l'ignorer signifiait ignorer les lois qui régissaient la famille. Celle qui avait sans aucun doute le meilleure maîtrise des arts martiaux de la famille se tenait devant elle, initiée dès son plus jeune âge à vaincre des ennemis supérieurs numériquement et techniquement. Une stratège, doublée d'une acrobate et triplée d'un instinct énorme: voilà qui était Themis, Gardienne des Lois de la famille Kunan. Les souvenirs faisaient remonter leur dernière rencontre à au moins deux ans, dans le calendrier des Kunan du moins, car ce dernier était spécifique à la famille et décomptait le temps bien autrement que chez les humains, qui avaient le temps d'entamer leur enfance lorsqu'un Kunan savait manier armes et autres objets contondants, puis la croissance ralentissait vers huit ans, puis se faisait au ralenti pour le reste de leur vie. En bref, à trois mois (temps humain), Siolith marchait déjà, à six, elle maîtrisait lecture et écriture et à deux ans, elle pouvait retenir un livre entier de 800 pages pour le retranscrire en entier sans faire la moindre faute de ponctuation, ni oublier les diverses notes dans les marges. La rapidité de leur croissance, puis le ralentissement de leur développement par la suite assurait aux Kunan une descendance "prête à l'emploi", mais malheureusement, il leur fallait un temps assez considérable pour arriver au stade reproductif pour engendrer à nouveau une descendance. L'Archiviste était toujours la première à venir au monde, ce qui faisait d'elle systématiquement le leader de la famille dès sa naissance, la direction étant assurée par ses parents jusqu'à ce qu'elle ait un âge respectable pour reprendre le flambeau.

Siolith croisa les jambes et s'accouda dessus, laissant sa tête prendre à appui sur sa main au niveau du menton. Themis était une rencontre très avantageuse, même très sûrement un tournant dans ses projets. La Gardienne n'avait pas un statut énorme dans la famille; elle devait se contenter de protéger le chef de la famille au prix de sa vie sans même hésiter. Elle était "programmée" pour cela depuis sa plus jeune enfance pour ne jamais faillir. Les Kunan n'avaient pas vraiment d'ennemis chez les humains, puisque ces derniers n'avaient pas accès à ce lieu reculé, mais il arrivait que des âmes errantes prennent possession d'animaux, les transformant alors en quelque monstre assez repoussant et dangereux. Son regard vide se posa sur un équivalent d'un vert émeraude. Themis avait un handicap qu'elle avait transformé en force: ses yeux étaient éteints depuis sa naissance, ce qui ne l'empêchait en rien de ressentir les moindres vibrations autour d'elle, ce qui lui donnait finalement un avantage dans un combat car elle bénéficiait d'une orientation à 360° lui permettant de prendre en compte des facteurs que les personnes voyantes auront plus de temps à analyser puisqu'il leur faudrait tourner la tête pour tout voir. Siolith avait également eu ces fameux exercices avec les yeux bandés, et les premières fois n'avaient pas été une partie de plaisir, mais elle se souvenait également des entraînements qu'elle avait pu faire avec sa sœur aveugle… Elle avait autrefois cru que l'aveugle était désavantagée, mais les roustes que Siolith se prenait, l'obligeait au bout d'un moment à faire tomber le bandeau pour se battre mieux.
Voilà la raison pourquoi elle appréciait la Gardienne et la considérait comme sa plus proche sœur depuis l'absence soudaine de Danaëlle; Siolith et Themis se ressemblaient sur beaucoup de points et partageaient énormément de choses en commun, et surtout, dans leur enfance, Siolith étaient la seule personne qui ne la considérait pas comme un objet ou un chien de garde. C'est sûrement cela qui avait fait de leur relation quelque chose d'aussi proche. La manieuse rompit le silence par ces mots:

"Comme il est agréable de n'avoir qu'à rentrer chez soi pour être accueilli par sa famille. Ta présence en ces lieux me soulage, mais en même temps, ton devoir est d'assurer la protection des Lois de notre famille ainsi que la vie du leader…

On aurait presque pu discerner des reproches dans la voix de la manieuse, mais cela s'effaça aussitôt après qu'elle eut reprit:

"Mais comme je suis ici, ton travail sera désormais complet, puisque en tant qu'Ainée, il me revient de droit de diriger cette famille, même si pour le moment, il n'y a que nous deux. Ton devoir sera donc complet si tu accompagne le leader, charge que je prends sans hésitation aucune. Sauf si bien sûr, quelqu'un conteste ma déclaration"

Un lourd silence suivi ces paroles, accompagné par un regard d'acier de la manieuse vers sa sœur à peine moins âgée qu'elle. Lire les âmes était sa capacité, mais par principe, elle ne l'utiliserait pas contre quelqu'un avec qui elle avait partagé jusqu'à ses repas étant enfant. Si la Gardienne refusait Siolith en tant que leader, il n'y aurait que deux possibilités: soit Siolith devrait abandonner l'idée pacifiquement, soit elle devrait lui faire accepter sa décision de force. Comme le premier cas serait forcément illusoire, il ne resterait que la deuxième.
Siolith décroisa les jambes et effectua un petit saut typiquement féminin pour en descendre. Ses longs cheveux glissèrent sur la surface dorée et battirent ses hanches comme une tempête de neige qui battait les arbres au plus froid de l'hiver. Ses yeux vides de toute émotion se plantèrent dans ceux de sa sœur comme si elle la passait aux rayons X; quelle était sa décision? Accepterait-elle ou pas? Elle n'avait pas besoin de savoir lire dans les pensées ni dans les âmes pour deviner qu'à ce moment même la tension pouvait être presque palpable. Tout dépendrait de l'issue de cette rencontre en une demeure inconnue du monde des simples mortels.

Themis entra dans la pièce et referma lentement la porte derrière elle, contente d’entendre quelqu’un dire son prénom et d’entendre la voix de sa grande sœur. Le silence s’imposa rapidement dans la pièce. Un silence si présent que l’on pouvait l’entendre. Partout où il allait, il remplissait les oreilles d’un doux duvet invisible. Leurs regards étaient entrelacés et si sérieux que rien ni personne n’aurait pu oser un jour venir le rompre. Rien ne bougeait : pas un cheveu, pas un grain de poussière, rien. Deux silhouettes blanches comme la lumière qui se fixaient sans bouger, sans parler, qui ne faisaient rien d’autre que prendre un moment pour apprécier la présence d’un être cher qu’elles n’avaient pas vu depuis plusieurs saisons. La voix de l’Ainée rompit le silence et la cadette eut un très léger froncement de sourcils. Siolith atterrit devant elle et foudroya Themis de son regard glacial qui ne fit que rebondit sur le corps de marbre de la gardienne. La plupart des enfants du clan Kunan avaient peur de Themis d’une certaine manière. Inébranlable, presque omnisciente, peut se diriger et combattre aussi bien dans l’obscurité totale qu’entourée d’une lumière aveuglante contre un ou plusieurs ennemis sans même ressentir une demi once de stress. Themis était une statue. Ce fut sa voix qui brisa à nouveau le doux voile du silence qui régnait dans la demeure.

"Ma sœur, tu connais ma mission presque aussi bien que je la connais donc, tu dois savoir que ma présence en ces lieux n’est pas une coïncidence. Le Leader actuel de la famille m’a chargé de revenir ici peu de temps après mon départ pour t’attendre et te tester pour voir si tu es prête à prendre les reines du clan. Je ne conteste donc pas ta déclaration, mais je ne suis pas non plus d’accord."

L’Inquisitrice fit un pas vers l’avant, diminuant de quatre-vingt-dix pourcent la distance qui la séparait de sa sœur. Le regard sérieux et déterminé malgré la cécité se planta dans l’abîme bleutée qu’était les iris de sa sœur plus âgée mais plus petite. Leurs cheveux étaient si près les uns des autres et si semblables qu’une tierce personne n’aurait su où ceux d’une commençaient et ceux de l’autre se terminaient. Le silence fut lourd et désagréable, un silence tendu et dans lequel flottaient quelques particules d’agressivité. Le genre de silence encore plus tendu que celui qui règne dans une arène avant que le premier coup ne soit envoyé. Un silence plus lourd qui engloutit tout bruit dans une salle de commande militaire quand personne ne sait d’où les ennemis vont arriver. Un silence qui ne se manifestait que lorsque deux Kunans s’affrontaient verbalement. Ce démon qui absorbe tout bruit fut chassé de nouveau par Themis.

"… mais je suis réellement contente de te revoir."

Le regard de l’Inquisitrice céda sa place à une expression sincère et chaleureuse. Les yeux fermés, un doux sourire au visage, Themis enlaça sa sœur aînée après avoir minutieusement posé sa balance dorée sur une petite table. Tout comme Siolith qui se retrouvait à pleurer en conversant avec les âmes, Themis qui elle, ressentait les moindres émotions qu’elles transmettaient, se laissait, très rarement et que lors d’occasions spéciales comme, par exemple, la rencontre de sa sœur de qui elle était la plus proche après deux ans d’absence, contrôler par une émotion humaine. Leurs robes se touchèrent, leurs cheveux s’entremêlèrent dans un tourbillon blanc et la Gardienne sera tendrement celle avec qui elle partageait son sang contre son corps. Themis fini par la lâcher après quelques secondes et reprit sa balance en remettant une petite distance entre elle et sa sœur, reprenant sa personnalité d’Inquisitrice.

"Le test que tu dois réussir vise à savoir si tu as apprise à ne plus avoir besoin de tes sens humains pour te défendre activement… tu devines donc la nature de ce test j’imagine…"

Si Siolith refusait de faire le test, Themis devrait attendre qu’elle revienne. Si Siolith ne réussissait pas le test, Themis devrait attendre qu’elle revienne. Si Siolith réussissait le test, elle et Themis pourraient finalement commencer la mission pour laquelle elles avaient été conçues et même partir à la recherche de leurs trois autres sœurs pour recréer le clan et engendrer une nouvelle génération de Kunans quand le monde et leur calendrier aura décidé qu’elles devraient passer le flambeau. Le périple de vie n’avait pas encore totalement commencé et elles avaient toutes les deux encore beaucoup à apprendre. Elles avaient les connaissances de leurs ancêtres mais c’était maintenant leur mission d’ajouter leurs propres expériences et techniques à ce bagage de connaissances qu’elles transmettraient à leurs filles quand le moment sera venu… mais ce moment n’arrivera pas avant qu’une multitude d’hiver nous rappelant à quel point la neige semble terne et grise lorsque l’une Kunan est dans notre champ de vision ne soient passés. Themis ne voulait qu’entendre la réponse de sa sœur ainée pour passer à la pièce où elle la testerait…

Siolith ne fit pas un seul mouvement lorsque Themis s'approcha, et plongea ses yeux dans ceux de sa sœur, qui ne verraient jamais la lumière du jour. Pendant un bref instant, ses paroles ne furent plus celles de la Gardienne de la Famille, mais celles d'une sœur à qui on avait manqué après un temps d'absence. Siolith enlaça elle aussi celle qui partageait son nom et son sang, plongeant avec plaisir ses mains dans les cheveux de sa sœur, les lissants et jouant brièvement avec les mèches aussi droites et parfaites que l'étaient les siennes. Le contact n'était un caractère fort dans sa famille, au contraire; toutes les formes de contact physiques étaient peu voir pas pratiquées du tout, ce qui était également la raison du peu d'enfants qu'engendrait la famille. Cet instant presque irréel fut rompu par Themis, qui s'écarta de sa sœur en prononçant les paroles que Siolith espérait; elle acceptait de la tester!
La gardienne étant censée protéger le leader, il était évident que le chef de la famille devait également pouvoir se défendre, et même mieux que sa protectrice! Et comme dans la famille, la demi-mesure n'était pas autorisée, le seul moyen efficace de le savoir, c'était que la gardienne reconnaisse la force de la prétendue leader. Siolith n'allait pour rien au monde se défiler, au contraire: elle avait trop attendu ce moment pour se le refuser maintenant. De ceci dépendait la suite de son projet pharaonique: la rencontre avec la Gardienne lui assurerait un soutient indéniablement puissant dans sa famille dont elle pensait être la dernière représentante. Dans ce cas, la possibilité d'autres Kunan était envisageable… L'espoir fait vivre dit-on, mais il ne fallait pas se leurrer: deux ans de séparation et même les propres membres de votre famille pourraient vous paraître étrangers. Si elle s'emparait de la tête de la famille, alors il serait plus facile de rallier à elle celles qui seraient éventuellement perdues. Elle écarta les bras, formant deux cercles, puis les croisa devant elle pour en former un plus grand en fusionnant les deux premiers.

"J'accepte sans hésitation, Gardienne!"

Ce furent là les seuls mots qu'elle prononça pour exprimer son accord; mieux valait faire court, mais clair! Ses yeux rougirent lorsqu'elle déploya son potentiel d'âme dans toute sa grandeur et elle attaqua directement par l'analyse brève, mais nécessaire de son adversaire. L'âme de Themis était loin, mais ses lignes étaient claires aux yeux de celle qui lisait l'Histoire des âmes. Les combats n'avaient pas été une partie majeure de sa vie depuis deux ans; Siolith, qui n'avait fait que cela depuis deux ans maintenant qu'elle était à Shibusen, était entraînée quotidiennement. Il ne servirait à rien de sous-estimer son adversaire, surtout, quelqu'un de sa famille, mais la gardienne faisait son travail sans être à son avantage… Siolith regretta presque d'avoir accepté, mais tant pis, le défi avait été lancé par la Gardienne et non par l'Archiviste et elle aurait très bien pu ne pas le faire aujourd'hui, à cet instant. Mais le moment était idéal, car après deux ans de chemins séparés, l'envie de se tester, de se surpasser et de montrer ses acquis à un équivalent gagnait Siolith, et elle gageait que ce devait être la même chose pour sa sœur.
Rien ne changea autour des deux combattantes, l'air était toujours aussi sec qu'avant, et l'absence de bruit aurait été très certainement oppressante pour quiconque n'aurait pas l'habitude de se trouver en ces lieux, mais cela n'affectait pas le moins du monde les deux filles qui se jaugeaient sans pouvoir communiquer du regard. Siolith centra son attention sur les bras et les jambes de Themis, seuls points de repères qui auraient pu trahir un quelconque mouvement futur du corps. Bien sûr, les enseignements étaient restés, et aucune des deux ne trahissait leur envie d'en découdre. Il fallait pourtant bien que quelqu'un engage le combat.
Siolith dissipa le cercle devant elle et en créa de plus petits devant ses mains en se ruant sur Themis. La pièce était certes spacieuse, mais toujours trop petite lorsqu'on engageait un combat; impossible de faire d'attaque surprise, donc la manieuse n'avait pas d'autre moyen que d'engager de face, en préparant une attaque dévastatrice de la main droite, tout en préparant une protection dans la gauche. Sa vitesse n'était pas la plus grande parmi celle des manieurs, mais courir le cent mètres en moins de neuf secondes n'était pas dur pour les élèves de la Shibusen. Aussi ce fut toute sa force et sa vitesse qu'elle mit dans cette première attaque, qu'elle dirigea en diagonale vers les jambes de Themis. Inutile d'être Einstein pour savoir qu'elle bloquerait ou esquiverait une attaque de front, mais en la dirigeant vers le bas, Siolith cherchait plus à la déstabiliser, car l'attaque, visant le sol, venait de créer une secousse semblable à un tremblement de terre, rendant déplacements et sauts dangereux à faire puisque le sol ne se prêterai pas à cet exercice durant quelques secondes. Sans attendre, Siolith levant son bras gauche pour parer une éventuelle lame qui lui tomberait lourdement sur le coin de la tronche.

Il y eut un souffle. Un vent chaud et sec qui balaya toutes la pièce, dérobant les bougies de leurs flammes et plongeant la salle de prière dans une obscurité presque totale. L’Inquisitrice tenait son épée à l’horizontale, son bras étant perpendiculaire à son corps. La bourrasque avait été créée par la lame d’argent de la famille qui sortait de son fourreau avec vitesse et puissance. Il y eut un bruit sourd, métallique, qui résonna quelques secondes dans la salle, provenant de la pointe de la lame qui s’enfonçait de quelques centimètres dans le sol vibrant. Themis avait fait un petit saut vers l’arrière et en sentant l’énergie de sa sœur vibrer dans le sol, avait trouvé le moyen de se mettre en équilibre sur la garde de son arme le temps que le sol redevienne stable. Elle ne put s’empêcher d’afficher une petit grimace douloureuse en sentant les vibrations parcourir ses membres. Rapidement, la sœur aux yeux d’émeraudes fit un petit bond vers Siolith suivit d’un rapide tour sur elle-même en se penchant et en étirant la jambe qui servirait probablement plus à éloigner Siolith d’elle qu’à lui faucher les jambes. Peu importe le résultat, Themis fit un saut de côté, gardant son regard éteint sur l’âme de Siolith tout faisant son possible pour ne jamais rester trop longtemps au même endroit. Elle se déplaçait en faisant de petits bonds de côté, laissant sa robe, ses cheveux et sa lame fendant l’air produire de légers sons semblables à des bruissements d’ailes de papillons.

Puis, son pied prit un appui solide sur le sol, effectua une légère rotation dans la direction de l’Archiviste et Themis fonça vers sa sœur en tentant une attaque du plat de sa lame. Bien qu’elle doive tester le potentiel de l’aînée, il était inconcevable de l’attaquer avec le tranchant de l’épée. Même si Siolith était, pour l’instant, une adversaire, elle restait sa sœur la plus proche, et risquer de la blesser gravement serait une faute blasphématoire qui devrait être puni par nulle autre que l’Inquisitrice, même si la coupable était Themis elle-même. Juste après le coup, elle lança son épée à la verticale, étirant sa main ainsi libre vers sa sœur, mais ne fit que lui effleurer l’épaule. L’arme retombait, lame vers le bas, la pointe étant légèrement plus lourde que le pommeau, et Themis l’attrapa d’un vif mouvement de main horizontal avant que la lame d’argent ne touche le sol. La balance dans son autre main produisait de petits cliquetis métalliques avec chaque mouvement.

Une tierce personne qui observerait la scène de haut verrait deux anges affichant un blanc plus pur que de la neige se battant au centre de ténèbres plus noires que de l’encre. Il verrait que malgré que les coups soient violents et peu retenus, il y avait une certaine émotion qui s’interposait entre les attaques. Un mélange de haine, de jalousie, d’amour et de compassion. Une émotion puissante qui ferait de ces deux personnes des partenaires hors pair lors d’un affrontement contre plusieurs personnes mais des adversaires plus que redoutables si elles devraient se battre ensemble. Une émotion que seuls des êtres réellement proches l’un de l’autre peuvent ressentir, que seuls deux personnes ayant un amour profond pour l’autre peuvent se vanter d’avoir, que seules deux sœurs unies par le corps, la pensée et l’âme peuvent illustrer aussi magnifiquement. Une magnifique rivalité fraternelle. Bien sûr, Siolith et Themis étaient trop sérieuses, professionnelles et avaient trop d’affection l’une pour l’autre pour le déclarer ouvertement mais lorsqu’elles se retrouvaient seules et qu’elles décidaient de même simplement s’entraîner au combat, c’était à ce moment qu’elles pouvaient avouer s’aimer assez pour pouvoir se détester et frapper l’autre de toute leur force. Comme l’une des règles (non écrite certes, mais une règle quand même) de la famille dictait qu’il ne fallait pas faire une action à moins qu’elle ne doive réellement être faite, elles s’assuraient que chaque coup soit ressenti par l’autre presque comme un ennemi devrait le sentir.

Siolith aurait l’avantage si Themis était, comme elle, à mains nues puisque l’aînée pouvait utiliser la longueur d’onde de son âme, chose que Themis ne pouvait pas faire, surtout que l’Archiviste était beaucoup plus expérimentée en combat véritable que l’Inquisitrice (pour le moment du moins). Mais comme la cadette était armée de son épée et de sa balance, elle pouvait se vanter d’être presque à armes égales avec sa sœur. Peu importe leurs positions, Themis était convaincue que leurs regards étaient plantés l’un dans l’autre puisque, après tout, le bleu et le vert se marient bien…

Ce combat aurait très bien pu être la scène principale d'un film hollywoodien tellement la rapidité et la fluidité des mouvements étaient précis, telle une chorégraphie répétée des centaines et des milliers de fois. Cependant, tout cascadeur qui se respecte sait que l'issue comporte des risques, de même que les deux filles ici présentes. Siolith usait de ses techniques de corps-à-corps pour attaquer et de ses boucliers fait de la même matière d'onde pour se défendre, la rendant difficile à atteindre à moyenne distance, soit la longueur d'une épée. A courte distance, la chance que l'une touche l'autre était bien plus grande, mais aucune des deux ne voulait vraiment franchir le pas, préférant tâter son adversaire pour connaître sa force. Briser la glace était le moment préféré de Siolith lorsqu'un combat s'annonçait; l'adversaire attendait toujours que ce soit l'autre qui donne le premier coup pour pouvoir l'esquiver et répliquer par une technique mortelle pour finir le combat en disant "je t'ai bien eu, et en un seul coup en plus!. Les débris formés par l'explosion de la pierre du sol s'éparpillèrent tout autour d'elle, et elle constata que sa sœur avait très judicieusement trouvé plus sage d'esquiver ceci, même si les effets de zone de la longueur d'onde avaient eu un effet quelque peu désagréable sur son estomac. La gardienne s'efforçait de garder ses distances avec Siolith, tandis qu'elle essyait d'aller au contact pour tenter de lui enfoncer son poing dans sa chair si tendre.

La manieuse n'avait pas d'autre envie que celle d'en découdre avec sa sœur, mais cette impression de déjà-vu l'assaillait tandis qu'elles échangeaient les coups. Themis fonça sur elle avec la ferme intention de lui coller son épée sur le crâne, et Siolith vit arriver la lame, mais elle se rendit compte que sa sœur allait utiliser le plat de la lame. Le métal s'abattit lourdement, sans pitié, sur la manieuse, qui amortit la lame avec un cercle lumineux, avant de stopper la lame ralentie avec sa main. Elle plongea ses yeux dans ceux, morts, de Themis. Le message était clair; qu'elle ne fasse plus semblant d'attaquer, car la manieuse allait utiliser tous les moyens a sa disposition pour gagner ce combat, sans quoi, elle ne gagnerait pas l'honneur de diriger sa famille. Le combat se poursuivit sans qu'un mot soit échangé, sans communication visible entre les deux filles: elles étaient dans leur monde, là où la violence avait son language, là où frapper avait une signification profonde, là où les coups étaient des mots et les enchaînements des phrases. Leurs corps dansaient au milieu des débris qui semblaient arrêtés dans le temps. Cette salle, comme toute la vaste maison des Kunan, avait la même particularité que le terrain environnant: le temps y était figé pour l'éternité dans une boucle sans fin. Chaque chose déplacée restait à sa place jusqu'à ce que la pièce soit vide. Puis lorsque toute présence partirait de la pièce, tout redeviendrait comme avant, comme si rien ne s'était jamais passé. Voilà comment la mort régissait les règles de vie des Kunan. Tant que la vie est présente, tout est modifiable, mais une fois que la vie quitte un endroit, la mort impose son cycle infini et éternel. Un sorte de renaissance mortuaire, qui n'avait pour effet que de mettre une chair de poule dans le dos lorsqu'on voyait les plantes environnantes donner des fruits en plein hiver où des parterres de fleurs éclatantes pendant les grandes gelées.

Les cailloux restaient en suspend comme maintenus par une force invisible tandis que les deux sœurs tenaient la discussion la plus importante de leur famille. Au-delà de la différence de niveau, Siolith aimait sa sœur, mais rien ne devait barrer ses projets de changement. Voilà pourquoi ce changement commencerait avec celui du nouveau leader des Kunan. Leurs dos se touchèrent alors qu'elles valsaient, se retournant, Siolith baissa la tête, entendant siffler au-dessus d'elle le fil de la lame, puis le clinquement de la balance. Sans regarder, elle sut que cette position était idéale pour attaquer, mais à son tour, elle eut cette petite hésitation et elle laissa passer sa chance. De rage, contre elle-même surtout, elle créa un immense cercle de trois mètres de diamètre avant de l'abattre à deux mains sur son adversaire, ne lui donnant aucune chance d'esquiver. Le sol trembla lorsque le cercle se stoppa entre les deux combattantes, l'une qui frappait avec le cercle, et l'autre qui allait maintenant devoir se défendre contre un assaut plus incisif qu'au début du combat. Comme pour signifier la nature offensive de l'attaque, le cercle vira d'un vert pâle à un mauve assez vif. Même si Themis ne pouvait pas concrètement le voir, elle pourrait néanmoins constater la nature plus agressive que l'âme de Siolith avait prise.

Cette fois, la partie sérieuse du combat commençait pour de bon et pas en douceur non plus. Une émotion traversa l’âme de Siolith et fut instantanément perçue par Themis qui n’eut pas le temps de faire le bond vers l’arrière qu’elle aurait voulu faire. Le cercle s’abattait déjà sur elle, concentré de la puissance physique de sa sœur, dans le but de l’écraser. Elle eut le réflexe, plus rapide que la pensée, de lever son épée pour arrêter le cercle dans sa descente. L’énergie émise par l’attaque crépitait contre la lame d’Argent et les vibrations engourdissaient le bras de la gardienne. Bien que son bras droit, porteur de l’épée soit plus entraîné, plus fort que son bras gauche pour compenser le handicap qu’avait l’inquisitrice de toujours devoir tenir sa balance, il n’était malheureusement pas assez puissant pour résister encore bien longtemps à une attaque aussi violente lancée avec fureur. Le sol sous ses pieds se fissurait et le poids de la force déployée par Siolith allait bientôt lui sectionner un os… Il fallait agir ! Dans le feu de l’action, une personne qui aurait été attentive aurait remarqué l’apparition d’une petite sphère bleutée sur l’un des plateaux de la balance et le changement de couleur des iris de l’Inquisitrice du vert au violet. Il y eut un petit bruit sourd et le cercle créé par l’Archiviste s’écrasa contre le sol, soulevant fragments et poussières alors qu’un flou blanchâtre se déplaçait assez loin de la zone d’impact pour en être complètement hors de portée. La surprise serait probablement au rendez-vous dans la salle. Themis ne croyait pas sa sœur aînée capable d’un tel pouvoir destructeur, mais un mince sourire en coin vint animer ses lèvres alors qu’elle se mit à courir à grande vitesse vers sa sœur, son regard passé de l’émeraude à l’améthyste fixé sur celui de Siolith. La sphère était toujours présente sur la balance et faisait pencher le plateau sur lequel elle reposait.

La gardienne fit un petit saut en tournant sur elle-même et envoya un magnifique coup de pied sur un débris de la taille d’un écran de télévision qui vola vers sa sœur alors que Themis se déplaçait en arc de cercle pour s’approcher de Siolith du côté opposé du projectile de fortune. L’épée produisait un son de grattement agressif tandis que sa pointe frôlait le sol alors que l’Inquisitrice allait confronter sa chère sœur aux poings. Aucune parole, que des coups. Themis allait démontrer son opposition au précédent argument de Siolith en plantant son épée dans le sol avant de lever son poing pour chercher à l’abattre sur la joue de sa sœur. Avec sa vitesse et ses réflexes développés par le pouvoir de sa balance, Themis espérait avoir rétréci la tranchée de puissance qui la séparait de sa sœur aînée et souhaitait surtout lui montrer de quoi elle était capable. Pas pour la tête de la famille, pas pour le test, juste pour enlever toute possible trace de soupçon que Themis pourrait être faible de la tête de Siolith. Maintenant qu’autre chose que de simples aptitudes de bases de corps à corps avaient été mises en jeu, le rythme de la valse allait s’endiabler et la salle qui leur servait d’arène pourrait ne pas être suffisamment grande. Themis avait hésité une fois et ce serait la dernière et ce serait sans doute la même chose du côté adverse. Ce combat ne prendra fin que lorsque l’une d’elles abandonnera… Mais quelle Kunan qui se respecte pourrait bien oser abandonner?

En ce moment, elles étaient plus qu’une gardienne et une meister, plus que l’Inquisitrice et l’Archiviste, plus que des sœurs même : elles étaient deux guerrières dans un univers coupé du temps conventionnel qui voulaient se prouver qu’elles étaient aussi sinon plus fortes l’une que l’autre et leur orgueil ne leur permettra probablement jamais d’avouer que l’une soit meilleure que l’autre avant que ce ne soit prouvé par les poings, le fer, la sueur et le sang. Cette capacité était probablement l’une des plus impressionnantes du clan Kunan : l’habileté d’ignorer complètement le fait qu’elles soient unies par le sang et les sentiments qu’elles ont l’une pour l’autre et les remplacer par des coups à pleine puissance. Rien ne sert de préciser que le coup visant le visage de Siolith serait absolument sans retenue et envoyé de toutes les forces que Themis pourrait manifester dans un coup de poing contre la personne qu’elle aimait le plus dans l’univers connu et inconnu. Un coup de poing remplit de tant d’amour et de respect que sa si chère sœur aînée devrait absolument le sentir. Et la Gardienne savait que ce ne serait pas assez pour la mettre hors de combat, tout comme elle savait que son coup allait lui revenir éventuellement. C’était là une manifestation d’amour fraternel à la sauce Kunan, soit un combat sans retenue, sans merci, sans pitié et où la moindre manifestation de faiblesse chez l’une se verra violemment punie par l’autre. Les esprits des ancêtres devaient admirer le combat et être fiers de leur descendance….

Le cercle claqua brusquement sur le sol, semant désordre et destruction à son point d'impact, disloquant les pierres et pulvérisant les pavés, réduisant planches et décorations en poussière, broyant tout ce qui avait pu être solide auparavant. Au travers de la poussière, Siolith n'avait plus de vue sur sa sœur, ce qui l'handicapait grandement dans cette situation; la vue était primordiale pour la plupart des êtres humains, mais pas pour la gardienne de la famille. Jamais elle ne pourrait battre sa sœur les yeux fermés, cela relevait de la folie pure et dure, même si leur entraînement de base avait toujours été de manier le sabre de bois les yeux bandés. Combien d'heures, de bleus et des coups reçus à l'issue de ces entraînements… Siolith avait soulevé un nuage conséquent de poussière et l'avantage momentané de son attaque se transformait soudain en avantage stratégique pour sa sœur. Elle n'avait sûrement pas pu être écrasée par le cercle, car ce dernier était retombé trop vite, comme si quelqu'un relâchait un poids énorme d'un coup sans prendre de précaution. Du coin de l'œil, elle détecta un mouvement dans la poussière en suspend et se tourna dans cette direction, mais bientôt, un autre mouvement se fit à la périphérie de sa vision. Elle devait rêver, il était impossible qu'elle soit assez rapide pour aller d'un endroit à l'opposé en si peu de temps! Son ouïe capta un raclement métallique caractéristique d'une épée frottant le sol et Siolith fut convaincu que la contre-attaque était imminente. Elle força alors son flux sanguin à affluer dans ses membres en utilisant sa longueur d'onde comme vecteur afin d'user de sa technique du Papillon. Immobile, le corps droit comme un "i", elle ne semblait pas du tout prête à se battre, mais elle ressemblait plus à quelqu'un qui ne sait plus où aller. Un mouvement sur sa gauche capta son attention et le morceau rocailleux qui filait droit vers elle fut arrêté et cassé en deux par son poing désormais aussi dur qu'une barre d'acier trempé. Mauvaise pioche, c'était un traquenard, un moyen de détourner Siolith du vrai assaut qui la prenait de l'autre côté, sur sa droite et Thémis qui accourait l'air bien décidée à lui rendre la monnaie de sa pièce. Elle se déplaça à une vitesse inhumaine et Siolith fut bien obligée de constater que la vitesse de l'attaque ne lui permettait pas d'esquiver, en tout cas pas sans risque de se prendre un méchant coup d'épée au passage.

Elle fit front. Lorsque sa sœur planta l'épée dans le sol pour l'attaquer à mains nue, elle fut si surprise que l'information donnée par le cerveau demandant au bras de parer l'attaque n'arriva jamais à destination. Siolith eut comme dernier réflexe de compenser le futur choc avec ses jambes et son visage tourna brutalement sous le choc d'une main refermée en poing. Sa joue fut déformée pendant la fraction de seconde ou ce poing rencontra son visage, puis reprit immédiatement sa forme d'origine en commençant à rougir fortement. Si Siolith n'avait pas activé son Chô no Kata juste avant afin de se "planter" sur ses appuis, elle aurait très certainement été mise à terre sous la violence de ce coup. Son visage resta tourné de longues secondes, comme si elle réfléchissait à la prochaine action à faire ou tout simplement pour vérifier si sa mâchoire n'était pas cassée. Elle bougea prudemment ses muscles faciaux et se tourna lentement vers sa sœur en lui jetant un regard d'une froideur inégalée. La vitesse de sa sœur l'avait surprise, mais cette dernière n'aurait pas dû abandonner l'épée au profit du combat de corps à corps, car elle venait de s'engager sur un terrain glissant pour elle. Siolith était dans son domaine comme un poisson dans son bocal, et elle décida de mener la suite de la danse en faisant pleuvoir les coups sur la gardienne de sa famille. En plus d'avoir ses membres endurcis par sa technique, elle balançait des attaques de type "smash" avec sa longueur d'onde afin de faire goûter le pouvoir d'un manieur à celle qui mettait en doute son aptitude à se défendre au corps à corps.

Chacun de ses coups aurait pu fendre la caillasse lancée précédemment et elle continuait d'harceler sa sœur avec. La pluie de poings et de pieds semblait disproportionnée par rapport à la seule attaque qu'elle avait encaissé. Le nombre de coups échangés devenait immense tandis qu'elle progressait, donnant des coups tout en avançant, tandis que sa sœur, forte de sa vitesse accrue, en profitait largement. En revanche, démunie de son épée, sa sœur, qui n'en était pas moins dangereuse, semblait moins à l'aise qu'avec son épée, comme si son équilibre avait basculé d'un côté à cause du manque dans sa main droite, sa main gauche tenant toujours cette éternelle balance caractéristique aux Gardiennes de la famille. Si elle en voulait, Siolith était prête à lui donner de quoi pour le corps à corps et pour sûr, elle n'en serait pas déçue. Elle envoya un coup de poing plus puissant que les autres en direction de sa sœur dans le but de la faire battre en retraite et effectua elle-même un magnifique salto en se réceptionnant sur le seul meuble resté en place dans la pièce, sûrement parce que ce dernier était en or massif. Siolith joignit brièvement les mains devant elle et fredonna les premières notes de ce qui devait être la musique que lui chantait sa mère durant son enfance. Comme sorties de nulle part, les notes vibrèrent dans l'air, et Siolith sentit cette douce chaleur l'envahir. Sa robe se para de bandes blanches lévitant curieusement et l'air lui-même semblait s'échauffer autour d'elle, comme si elle était à l'origine d'une friction énorme entre deux parties de métal chauffées à blanc. Les caillasses en suspend autour d'elle s'écartèrent brusquement et, se servant de cercles comme d'un escalier elle descendit de l'autel comme un souverain descendrait les marches de son trône.

Themis avait frappé si fort que sa main lui faisait mal. Un coup de poing remplit d'amour et d'affection qui s'était abattu sur le visage de sa soeur préférée pour lui prouver à quel point la gardienne la portait dans son coeur. Un mince filet de sourire traversa son visage en voyant la surprise prendre d'assaut le regard de sa soeur. Themis s'attendait à une contre-attaque sévère et elle était bien consciente que le corps à corps à mains nues n'était pas sa spécialité. Elle se débrouillait, oui, mais était loin d'être aussi forte et expérimentée que sa soeur aînée. Siolith fit pleuvoir les coups sans se retenir mais l'inquisitrice arrivait à les éviter, de justesse par moment, grâce à sa vitesse décuplée. Pour une raison qu'elle ignorait, elle n'était pas arrivée à échantillonner l'âme de Siolith. Était-elle trop puissante pour la capacité de Themis? C'était probable, Siolith avait vu sa partie de combats alors que Themis, elle était restée ici à attendre le retour des soeurs... Elle reculait, se mouvant atour des poings de la meister comme une anguille à travers des rochers. Elle cherchait son épée tout en se concentrant à éviter les coups, tentant de ressentir son âme dans la lame qu'elle avait délaissée l'espace d'un instant. Elle la repéra enfin mais elle était trop loin d'elle, même malgré sa vitesse décuplée puisque la pluie de coups de sa soeur l'empêchait de s'éloigner.

Un coup plus puissant, plus chargé d'énergie, fonça droit sur elle et Themis l'évita en effectuant un bond vers l'arrière en envoyant sa tête vers le bas, reprenant appui sur ses mains pour se propulser et atterrir juste à côté de sa lame tandis que sa soeur atterrissait sur la pièce maîtresse du mobilier. Themis pu sentir l'air autour d'elle se mettre à bouger, frémir, comme s'il était chargé en électricité. Les notes de la chanson firent écho dans sa tête et réveillèrent les souvenirs de sa propre mère qui la lui chantait à elle. Une chanson que Themis ne connaissait que trop bien. Chacune des notes étaient ancrées dans sa tête comme des fossiles. Elle commençait à redouter chaque notes de cette mélodie qu'elle adorait qui causait des crépitements autour de l'âme de sa soeur. Siolith se mit à descendre sur des marches invisibles et Themis délogea son épée du sol, la fit tournoyer à ses côtés pour montrer à quel point cette arme était devenue un prolongement de son bras et elle se plaça en position de combat. La petite sphère bleutée qui reposait sur le plateau de la balance se mit à briller d'une faible lueur bleue et sembla se changer en petite flame. Cette sphère représentait l'âme de Themis qui était maintenant plus que déterminée à donner tout ce qu'elle avait, pour accomplir son travail d'Inquisitrice et tester Siolith jusqu'au bout pour voir si elle était réellement digne d'être à la tête de la famille.

Les iris violets de Themis étaient ancrés sur l'archiviste, un regard sérieux et déterminé qui se voulait provocant. Elle voulait que sa soeur donne tout ce qu'elle avait. La balance était un avantage exclusif à Themis mais comme elle ne fonctionnait pas sur Siolith... la gardienne gardait un as dans sa manche...

Rien n'avait plus de valeur à cet instant que sa sœur ici présente; des retrouvailles comme on pouvait en voir si peu, surtout de cette intensité. Siolith savait qu'à partir de maintenant, le combat tournerai court: elle gagnerai pour asseoir son autorité sur la famille. Dans le regard de sa sœur, Siolith y vit quelque chose qu'elle avait un peu de mal à déchiffrer… De l'appréhension? Il est vrai que les notes de musiques qui résonnaient à cet instant étaient connues de toutes les Kunan, mais seule Siolith pouvait en user la puissance. Tout son corps vibrait sous la tension de longueur d'onde accrue qui le parcourait, rendant sa peau encore plus pâle qu'avant. Ses cheveux prenaient un air irréel, parcourus par des arcs électriques, ils semblaient dotés de vie. Siolith observa calmement le lieu autour d'elle, ses yeux scrutant chaque pierre avant de passer à une autre pierre ou objet. C'était particulièrement étrange de voir ainsi les choses, comme si elle pouvait voir jusqu'à la moindre aspérité, angle et imperfections du premier coup d'œil sans même avoir eu le temps de regarder plus d'une seconde chaque objet. Sa vision était claire, ses mouvements avoient aussi été sujets à un changement radical: elle avait juste à penser de regarder sa main pour que tout son bras saute comme par magie et que sa main s'ouvre comme une fleur s'ouvre sous une pluie d'été. Elle ouvra et referma plusieurs fois le poing pour être sûr de la sensation que cela lui procurait: liberté. Elle avait déjà utilisé cette technique, mais pas à ce niveau, non. C'était comme si elle n'avait attendu que ce moment pour donner tout ce qu'elle avait, pour libérer son esprit et révéler le vrai visage de l'Archiviste.

Elle était totalement libre, sa chrysalide s'était brisée et voilà que maintenant, le fragile papillon s'envolait, fort de sa nouvelle vie et assoiffé de nouvelles expériences. Toujours avec ce regard impénétrable, Siolith dévisageait sa chère sœur, qui avait exécuté un technique grâce à sa balance. Une petite sphère bleue était apparue, sur l'un des côtés, faisant pencher les disques, mais cela, elle ne s'en souciait pas le moins du monde. Pendant un court instant, Siolith était transportée dans un monde sans murs, port ou fenêtres, rien que du vide, puis elle était à nouveau là, face à son adversaire du moment et ses pensées habituelles refirent surface: elle allait gagner, car ses projets et l'avenir dépendaient de cela. Sans prendre appui, ses pieds la propulsèrent à une vitesse décuplée droit vers Themis et elle sut qu'un choc frontal ne serait très certainement pas la chose idéale à vivre pour sa sœur: la technique qu'elle utilisait rendait son corps et sa longueur d'âme tellement forts qu'elle-même ne savait pas comment réagirait un corps humain à un tel choc autrement que par la mort. Mais sa pensée surpassa son appréhension et tout ce qu'elle avait en tête à se moment, c'était *frappe pour vaincre*. Sa main se para d'un cercle, qu'elle abattit sur sa soeur comme un bûcheron abat sa hache sur un tronc. Simple attaque facilement évitable, mais l'impact dépassa de loin ses espérances: non seulement le sol trembla, mais il explosa par endroits par le simple souffle du cercle.
Anticipant un éventuel coup d'épée elle se baissa et se mit en position accroupie, une jambe tendue, l'autre pliée, les deux mains au sol. Sa longueur d'onde se déplaça à la vitesse de l'éclair dans ses mains pour former un nouveau cercle en-dessous d'elle, sous la pierre su sol, qui prit très mal se traitement et explosa, chose prévue par Siolith puisqu'elle se servait de ses cercles de cette façon pour se propulser en l'air. Tout son corps échappa à la gravité pendant quelques secondes où elle eut le temps de se retourner, puis d'appeler un autre cercle afin d'y prendre appui, la tête en bas et de se propulser vers le sol avec à nouveau un cercle de la taille d'une baie vitrée pour attaquer sa sœur. L'explosion qui en résulta signala que la longueur d'onde avait réagit avec quelque chose.

Siolith était toujours dans la même position, avec le cercle qu'elle tenait devant elle afin d'écraser toue résistance devenue futile après un tel déploiement de volonté destructrice. Lorsque la poussière se dissipa, elle révéla l'état actuel du champ de bataille que les deux sœurs avaient créé.

Themis eut tout juste le temps d'ancrer ses pieds au sol en plaçant le plat de sa lame dans la ligne de mire du coup brutal qui fonçait sur elle. L'épée laissa échapper un cri de douleur métallique déchirant et Themis fut propulsée d'environ trois mètres vers l'arrière, laissant deux trainées de pierre fendue devant elle. Les vibration de la lame d'argent lui avait violemment écorché la paume de la main mais cette douleur n'était rien pour la gardienne. Elle resserra son étreinte sur la garde de son épée et sa main produisit quelques gouttelettes de sang qui vinrent se déposer sur sa robe. Des taches écarlates sur un tapis de neige... L'Inquisitrice revint rapidement avec sa vitesse décuplée par l'effet de la balance et tenta un coup à l'horizontale. Son bras était bien clair pendant qu'il était devant son torse pendant la préparation du coup, la lame au dessus de son épaule gauche. Il devint flou un instant et se retrouva complètement étendu à la droite du corps de la gardienne alors que l'ai lui même n'avait pas réalisé qu'il avait été tranché mais le plus surprenant était que Siolith avait aisément évité le coup! Themis allait rabattre son épée verticalement sur la manieuse quand l'explosion du cercle la força à se déplacer pour ne pas se retrouver en pièces. Un caillou minuscule traversa l'air à une si grande vitesse qu'il produisit une entaille sur la joue droite de l'Inquisitrice.

Themis leva inutilement les yeux et une lueur bleutée illumina le plateau descendu de la balance pendant l'espace d'un instant. La gardienne se sentit soudainement plus lourde, plus massive, sans avoir changée de taille et leva son épée pour bloquer le cercle immense qui s'écrasait sur elle. La pierre sous ses pieds, ou du moins, ce qui en restait, se fissura et l'Inquisitrice s'enfonça de quelques centimètres dans les débris alors que le plat de sa lame empêchait l'attaque de sa soeur de la pulvériser. Cette fois, elle briserait le cercle et enverra valser sa soeur! Avec cette technique activée, rien ne pouvait la dominer sur le plan physique! Elle était devenue une masse inébranlable! Mais une telle chose ne peut exister... pas dans la mesure ou sa soeur était devenue une puissance irrésistible. Il ne peut exister une lance qui peut percer tous les boucliers tant qu'il existe un bouclier qui peut résister à toutes les lances et vice versa. Themis le comprit rapidement quand, dans son esprit, le cercle se mit à briller et explosa, propulsant la Gardienne comme une poupée de chiffon à travers la pièce.

Themis termina son vol plané en se heurtant contre les portes massives de la salle qui avaient résisté à des siècles de combats et s'effondra au sol. Elle planta la pointe de son épée dans le sol, s'en servant comme canne pour se relever. La balance n'avait pas quitté la paume de sa main depuis le début du duel. Sa robe était tachée de poussière, de terre et de sang par endroits. Son dos lui faisait affreusement mal, elle avait du mal à ouvrir son oeil gauche plus qu'à sa moitié et ses cheveux étaient tout emmêlés et dans le même état que sa robe. Dans un petit grognement d'effort, elle se releva, haletante, son regard vide posé sur sa soeur. Elle s'appuyait sur sa canne de fortune, légèrement pliée vers l'avant pendant quelques secondes puis se redressa, pointant son épée vers sa soeur. Elle était droite comme un "I", son bras et sa lame produisant une ligne parfaitement perpendiculaire au reste de son corps. Sons regard déséquilibré par sa paupière enflé brûlait toujours de détermination. Elle fit un pas vers Siolith. Puis un autre. Son bras perdait son angle. Un troisième pas. La lame criait alors qu'elle rebondissait sur le sol. Un quatrième. Les yeux de la gardienne se fermaient et elle s'effondra au sol, inconsciente, avant d'avoir pu entamer le cinquième pas. Bien que son esprit ait forcé son corps meurtrit à déclarer forfait, sa main était toujours crispée sur la base de sa balance qui tintait doucement au rythme de la respiration de la cadette de la famille...

Siolith scruta devant elle, attendant patiemment que le nuage se dissipe. Themis avait heurté la porte de la salle, projetée par le choc entre son épée et le cercle de la manieuse. La fille aux yeux bleus s'avança, pas après pas, considérant sa sœur à terre, vaincue par une puissance qui dépassait la sienne. Ses jambes se figèrent; Themis avait bougé. Comment le pouvait-elle encore? Cette attaque aurait pu mettre à mal un immeuble et elle se relevait en pointant son arme sur Siolith, une résistance hors normes, puis l'épée lui glissa des doigts, produisant un bruit métallique caractéristique lorsqu'elle heurta le sol. Elle abandonnait, ou était-ce une dernière ruse? Le sol se craquela lorsque Siolith prit un départ de sprint, un nouveau cercle d'onde devant la main dans l'intention de réduire à néant celle qui l'avait défiée. Elle vacillait. Siolith le va le bras pour frapper, à moins d'un mètre de Themis, cette dernière ne faisant aucun geste pour esquiver ou contrer le coup arrivant comme un camion arrive sur un piéton imprudent.

L'énergie qui entoura son bras disparu et Themis ne toucha jamais le sol, la main gauche de la manieuse retenant le corps meurtri de sa sœur. Le combat avait été inégal, mais elle avait fait du mieux qu'elle pouvait, sans jamais sourciller ni se déclarer vaincue; c'était ainsi que les Kunan fonctionnaient. Elle tenait sa sœur comme une mère tenait son enfant, avec tout l'amour que l'on peut porter à une sœur absente depuis si longtemps qu'on en oublie presque l'existence.

"Themis…"

Siolith se concentra un instant et les limbes autour de sa robe disparurent, en même temps que cette impression d'infinie puissance et de liberté. Elle avait vaincu, sans avoir à tuer sa propre sœur, ce qui, aurait techniquement été immensément stupide puisque c'est ensemble, que les Kunan seraient les plus fortes. Et maintenant qu'elle avait gagné la bataille, il restait un dernier détail: à l'origine, cette maison appartenait à la Mère Fondatrice de la famille. Cette personne avait une certaine capacité, néanmoins curieuse, de rétablir une pièce rien que par sa présence. C'était la marque de distinction pour le chef de la famille. Siolith ferma un instant les yeux, puis les rouvrit et fut frappée de stupeur en considérant la pièce qu'elle et Themis avaient ravagée: ni-ckel, tout était exactement comme lorsqu'elle avait franchi le pas de la porte.

La manieuse passa le bras de sa sœur autour de son cou et la porta ainsi jusque dans le jardin, une espèce de cour intérieur de plusieurs hectares. Assise à côté de sa sœur, elle attendit, patiemment, fidèle à l'image qu'elle projetait toujours d'elle: une tour accessible uniquement aux personnes qui en avaient la clé. Une discussion, longue ou courte, tout dépendrait de sa sœur, devait avoir lieu, et c'était le moment ou jamais qu'elle aie lieu, sans quoi, elle ne voudrait plus jamais en parler. Sans même tourner la tête vers sa sœur, elle parla:

"Themis… L'Histoire se répète sans arrêt et je n'aurais bientôt plus qu'à recopier les anciens écrits. Je vais sauter le pas et changer cela, je te le dis donc directement, toi qui est chargée dorénavant de veiller sur moi: je vais écrire l'Histoire avec ma propre plume, une histoire unique et pas forcément rose…